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Bibi Ngota : liberté d’expression, droit à l’information et dignité humaine au Cameroun
(03/05/2010)
Au regard du décès du journaliste Bibi Ngota, Christian Djoko, jeune étudiant camerounais, pose la question de la liberté d'expression et de la dignité humaine au Cameroun.
Par Christian Djoko
« Au clair de la lune, mon ami Zongo. Refusa de bâillonner sa plume au Burkina Faso et Zongo est mort, brûlé par le feu. Que justice soit faite pour l'amour de Dieu ».

Voilà le cri de cœur que lançait il y a 10 ans le chanteur ivoirien Alpha Bondy, afin que lumière soit faite autour du décès tragique du journaliste Nobert Zongo qui enquêtait sur une sordide affaire de meurtre au sein de la garde présidentielle burkinabé. Ce cri circonstanciel sous fond de musique, était en même temps un vibrant plaidoyer pour le respect et la protection des journalistes dans l’exercice de leur fonction.

Au regard de l’actualité juridico-journalistique camerounaise, comment ne pas raviver, ranimer, darder à nouveau ce cri ?

Jeudi 22 avril 2010, en faisant notre revue de presse quotidienne de l’actualité camerounaise, nous apprenions avec étonnement et consternation le décès en détention préventive de M. NGOTA NGOTA Germain Cyrille, Directeur de Publication du journal « Cameroun Express », connu sous le pseudonyme de «Bibi» Ngota. Selon plusieurs sources concordantes, ce journaliste en date du 10 mars 2010 (jour de son arrestation) présentait des antécédents hypertensifs et souffrait d’une hernie. Celui-ci aurait essuyé à plusieurs reprises le refus de se voir administrer des soins alors que son état de santé claudiquant l’exigeait. À en croire sa mère et plusieurs de ses collègues (avant son incarcération à la prison centrale Kondengui) Bibi Ngota aurait été sujet à un «interrogatoire musclé » de la part des éléments de la Direction Générale des Renseignements Extérieurs (DGRE).

C’est au regard de cette circonstance qu’Henriette Ekwé, la directrice du Journal Bebela, avait publié le 04 mars 2010 une tribune dans laquelle, elle dénonçait une série d’actes de torture commis à l’endroit de Bibi Ngota et de ses coaccusés. « Il sera sévèrement torturé », décrira également une source du quotidien Le Messager du 27 avril 20102. La mère du défunt ne dira d’ailleurs pas le contraire. Dans une interview accordée au Journal La Météo, elle dit explicitement que : « les conditions de vie auxquelles il (Bibi Ngota) a été soumis tant à la Pj qu'à Kondengui étaient insoutenables. Et dans ce milieu insalubre, il a attrapé la gale, et son état s'est empiré ». Plus loin encore, interrogée sur les raisons du décès de son fils, cette dame meurtrie affirme sans détour : « J'ai attiré l'attention des autorités judiciaires sur l'état de santé de mon fils, malheureusement, personne n'a voulu m'écouter. En plus, sa demande d'évacuation avait été rejetée par le régisseur. Mon fils n'est pas décédé d'une mort naturelle. Il a subi trop de tortures ».

Rappelons brièvement la genèse même de cette scabreuse affaire.

M. Ngota était l'un des trois journalistes placés en détention provisoire dans une affaire leur opposant au Secrétaire général de la présidence du Cameroun. Les autorités Camerounaises soupçonnent en effet Serge Sabouang, Robert Mintya et Ngota Ngota Germain de «coaction de faux en écriture » d’un document imitant la signature du secrétaire général de la présidence de la République (SG/PR), Laurent Esso, et visant précisément à le discréditer. Daté du 20 juin 2008 ledit document, est une instruction donnée par le SG/PR à l’administrateur - directeur général de la Société nationale des hydrocarbures, de verser une commission globale de 1,342 milliards FCFA à 3personnes, respectivement consultant, directeurs généraux du Chantier naval et du Port autonome de Douala. Cette somme représenterait des «frais de commission » dans le cadre de l’acquisition d’un bateau-hôtel par la SNH, dont le président du conseil d’administration n’est autre que le SG/PR.

Au-delà de la culpabilité avérée ou non de Bibi et de ses coaccusés pour les faits qui leurs sont reprochés, cette mort tragique devrait troubler nos consciences et nous inviter à une réflexion radicale et sans ambages sur la situation de la liberté d’expression, du droit à l’information et de la dignité humaine au Cameroun.

Constatons que depuis le 10 mars 2010 date de l’arrestation de Bibi Ngota jusqu’à son décès dans la nuit du 21 au 22 avril 2010, de nombreuses organisations et groupe de presse n’ont de cesse d’attirer l’attention des autorités camerounaises sur les conditions de détention de ce journaliste en particulier et sur les menaces qui pèsent sur la profession en général. Reporters Sans frontières (RSF) exprimait dans son communiqué du 20 avril 2010 « sa vive inquiétude concernant l’état de santé de trois directeurs de publications, détenus depuis le 10 mars 2010 à la prison de Kondengui, à Yaoundé, et demand(ait) leur libération immédiate (…)Si les autorités n’engagent aucune action au plus vite, poursuit l’organisation, leur état de santé risque de se dégrader considérablement et leur vie pourrait être mise en danger ». Mêmement, dans un communiqué daté du 10 avril 2010 le Syndicat National des Journalistes du Cameroun condamnait explicitement : « les harcèlements judiciaires, les mauvais traitements, les arrestations et incarcérations de journalistes, actes qui ont pris de l’ampleur ces derniers mois à l’approche de l’élection présidentielle de 2011 ».

Rétrospectivement, il faut bien constater pour le déplorer que ces différentes alertes sont restées lettre morte.

S’appuyant sur un rapport administratif diligenté à la suite de l’onde de choc provoqué par l’annonce du journaliste Ngota, les sources officielles (ministre de la Communication) affirment que ce dernier avait une sérologie VIH positif et serait de fait décédé de suite d’« infections opportunistes dans un contexte où le système immunitaire était complètement effondré.» Information du reste, formellement et énergiquement rejetée par sa famille. Dans l’hypothèse même où il était effectivement séropositif, pourquoi rien n’a été fait, afin de ménager son état immunitaire en dégradation continue du fait des conditions d’incarcération et carcérales ? Le rapport que cite le porte-parole du gouvernement révèle également que l’information faisant état de la séropositivité de Ngota était disponible depuis le 05 avril, soit 17 jours avant sa mort. Dès lors, pourquoi ce prévenu n’a-t-il pas bénéficié d’un traitement carcéral adéquat lié à son état de santé claudiquant ?

Cette arrestation discutée et discutable et ce refus manifeste de prodiguer des soins d’urgence au journaliste Bibi ont quelque chose de paradoxal et (vraisemblablement) d’illicite au regard du droit international.

En effet, L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (août 1789) indique que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. Sous l’influence de ce texte, le droit international s’inspire de cette déclaration et l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée en 1948, reprend la même idée : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1977 auquel le Cameroun est État-partie stipule en son article 19 que : « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. »

Dans la même lancée la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (art. 9) précise que : « (1.)Toute personne a droit à l'information. (2.) Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.» La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a la suite à de nombreux problèmes d’interprétation l’article de la CADHP sus-cité, adopté en 2002 la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, qui reconnaît que la « liberté d’expression est un droit humain inaliénable et une composante essentielle de la démocratie ».

Les exhortations de l’UNESCO ne s’éloignent pas de cette logique. En effet la résolution 43 adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO à sa vingt-sixième session (1991), « reconnaissant qu'une presse libre, pluraliste et indépendante est une composante essentielle de toute société démocratique ». Rappelons également la résolution 59 de l'Assemblée générale des Nations unies, en date du 14 décembre 1946, dans laquelle l'Assemblée générale a déclaré que la liberté de l'information était un droit fondamental de l'homme, et sa résolution 45/46A du 11 décembre 1990 sur l'information au service de l'humanité.

Relativement aux soins médicaux, l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus stipule en son article 22 : « Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils. Lorsque le traitement hospitalier est organisé dans l'établissement, celui-ci doit être pourvu d'un matériel, d'un outillage et des produits pharmaceutiques permettant de donner les soins et le traitement convenables aux détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante ». Et à ce niveau la liste n’est pas exhaustive.

Dès lors, comment expliquer la sourde oreille, l’inertie, l’abstention manifestée par les autorités camerounaises face aux différentes alertes et interpellations ? Comment comprendre que le Cameroun qui a ratifié toutes les principales conventions relatives aux droits de l’homme en vienne ainsi, de manière criarde et méphistophélique, à se soustraire de ces obligations internationales ? À la lumière de l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), ne revient-il pas à l’état camerounais de garantir l’effectivité interne de ses obligations contractées librement au concert des nations ? De quelle démocratie apaisée nous parle-t-on ? De qui se moque-t-on ? Ne sommes-nous pas là en présence «du fort qui écrase le faible avec la complicité de la force de l’État, le tout emballé du voile d’une justice à vitesse variable »5 pour reprendre l’expression d’Haman Mana ? À l’évidence, il y a là, matière à s’interroger voire à s’inquiéter sérieusement pour l’avenir de la démocratie dans ce pays.

Exiger la clarté du diagnostic confine parfois à la cruauté de la réalité. Cependant sans la mise en exergue des tares qui anémient la dignité humaine en général et l’environnement de la presse singulièrement, il n'est de réforme possible. Pour savoir cet environnement malade ou menacé et la traiter en conséquence, il faut percer les apparences trompeuses, mesurer le décalage entre ce qui l'effarouche, l’opprime et ce qui ferait sa renaissance. Et c'est à ce cheminement que notre évaluation veut modestement souscrire.

À ce titre donc, nous avons l’intime conviction qu’il existe des situations où se taire s’apparente à :

- un acquiescement coupable, à une approbation qui trahit les idéaux universellement partagés ;
- un Oui qui suspend la justice, écrit mensongèrement l’histoire et sacrifie le respect de la dignité sur l’autel de la peur ou de l’intérêt. La mort du journaliste Bibi Ngota constitue indéniablement, un dangereux précédent.

Peu importe le bord politique auquel on appartiendrait ou les affinités qu’on aurait avec les plaignants ou les accusés, il y a lieu de s’élever ici, comme une seule voix, pour dénoncer avec véhémence ce qui se dresse comme une négation patente et invétérée de la dignité inhérente à tout être humain. Même dans l’hypothèse où les faits reprochés à Bibi étaient fondés et sa culpabilité avérée, cela ne saurait en rien justifier le refus d’assistance médicale dont il aurait dû bénéficier au regard de la dégradation de son état de santé. Aucune créance n’est suffisamment forte pour justifier un tel refus et de fait entrainer ainsi la mort d’un individu. Aucune raison, aucun argument ne saurait être évoqué pour perpétrer les actes de torture, bâillonner la dignité humaine et déroger au respect du droit à la vie d'un individu. Quelles que soient les charges retenues contre un individu rien ne peut justifier qu’il soit privé de son droit le plus absolu : Le droit à la vie.

Inutile de rappeler que ce droit relève en effet du Jus Cogens c'est-à-dire « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère » (Article 53 de la Convention de Vienne).

Contre ces vendeurs d’illusions, apparatchiks, hiérarques et pontes d’une autre époque, qui contre vents et marées tenteront de noyer ce drame dans une opacité juridique douteuse, nous voulons dénoncer cette violation patente du droit à la vie. Il faut s’inscrit en faux face à l’escalade de ces entreprises mortifères.

Nous ne devons pas hésiter à débusquer et à frapper du marteau de la critique tout ce qui constitue un frein à l’aspiration légitime des individus au respect de leurs droits fondamentaux notamment le droit à l’information et le droit à la vie.

La reconnaissance de cette atteinte au droit à la vie du journaliste Bibi Ngota, que l’expérience, plus que la raison impose et que même la raison d’État ne peut effacer, est en même temps une occasion de braquer les projecteurs sur la justice camerounaise. Elle doit être saisie ou alors elle doit se saisir de cette affaire.

Elle est placée en face de ses responsabilités et doit sans complaisance et en toute équité établir les responsabilités des uns et des autres dans cet évènement tragique. Nous avons peut-être la faiblesse de croire (encore) en cette justice, nous le dirons certains. Soit ! Il faut à défaut de croire en elle, lui rappeler inlassablement ses prérogatives et ses devoirs.

Elle doit se saisir de cette affaire pour écrire le scénario exact de ce drame, puis dire le droit, ensuite rendre justice et partant, permettre ainsi à la famille biologique et professionnelle de Bibi Ngota de faire le deuil et de panser leur blessure même sans pouvoir l'effacer, car cette disparition prendra indubitablement les traits d'une cicatrice indélébile.

« Que justice soit faite » dirait une fois de plus Alpha Blondy. Rendre justice c’est revenir à la légalité, c’est souscrire de manière effective aux engagements internationaux du Cameroun. C’est finalement s’inscrire dans un processus de cristallisation d’une justice indépendante qui de fait concourt, à la maturation et à l’apaisement démocratique véritable d'un pays. Albert Camus disait : « l'État de droit ne doit pas cesser à la porte des prisons ».

En formulant le vœu que justice soit faite, nous voulons rappeler parallèlement que le journaliste dans l’exercice de sa profession, participe indéniablement de la respiration démocratique d’un État. Loin d’être un contre-pouvoir (ce qui biaiserait son rôle social), tout journaliste pour peu qu’il fasse preuve de professionnalisme se pose comme un veilleur et un éveilleur de conscience. Par ces investigations, ces articles, il travaille à rendre les gouvernants et élus comptables devant le peuple souverain. Le journaliste empêche de penser et de tourner en rond, c’est un « chien de garde de la société ».

Plus généralement, la liberté de presse est un vecteur de démocratisation. Force est de constater que les victoires engrangées dans la quête d'un État de droit au Cameroun l'ont été en grande partie grâce aux médias. [i «Les médias sont garants d’un droit fondamental, le droit à l’information, qu’il convient d’exercer en toute liberté, mais avec responsabilité. Le droit à l’information [ne doit] pas l’apanage des autorités politiques »].

Disons avec Cyrille Ekwalla que les journalistes ne sont ni les ennemis ni les amis des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais plutôt des partenaires dans la quête d’une gouvernabilité de type démocratique.

Personne ne songerait à dire que les journalistes sont au-dessus de la loi. Nous ne saurons nier les dérives et le manque de professionnalisme de certains journalistes. Mais nous restons convaincus que quelles que soient les charges retenues contre un individu, rien ne peut justifier l’atteinte à sa vie ou la mise en danger de sa vie.

Sur le chemin périlleux et escarpé de la démocratie et de l’État de droit, lorsqu’un journaliste est ainsi fauché, c’est un lampadaire qui s’éteint, c’est un radar qui cesse de fonctionner, c’est un phare qui se brise et c’est le peuple qui en patit. « Plus jamais ça ».

Christian DJOKO,
Étudiant Erasmus Mundus de l’Union Européenne et titulaire d’un Master en droits de l’homme et action humanitaire



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